Birmanie : témoignage d’une militante humanitaire française qui s’est rendue sur place

Publié le 16 Janvier 2013

Mouna D. , militante humanitaire, a rencontré des Rohingyas en Birmanie, l’une des ethnies les plus persécutées au monde selon l’ONU. Elle a accepté de répondre à nos questions. Un témoignage poignant et rare sur la situation des Rohingyas en Birmanie, un véritable génocide caché.

Pouvez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs ?

Appréciant beaucoup voyager, j’ai eu l’occasion de participer à plusieurs actions humanitaires, en tant que bénévole. En juin 2012, je m’étais engagée du côté de la Fondation Mère Teresa, en Inde. Au Cambodge, pour une association venant en aide aux orphelins. J’ai voulu poursuivre mes visite en Asie du Sud-Est. Touchée par les conflits en Birmanie, je m’y suis rendue de Bangkok, le 20 novembre 2012.

Dans quel cadre vous êtes vous rendue en Birmanie ?

Je me suis rendue en Birmanie, en tant que simple citoyenne, avec mes propres moyens. C’est seulement en revenant de mon séjour, le 12 décembre, que je me suis engagée au côté du collectif Halte au Massacre en Birmanie, à Paris, que je trouve très actif.

Comment se passe l’entrée en Birmanie, et en particulier la région où se trouve les Rohingyas ?

Arrivée à Yangon, j’ai essayé d’obtenir un maximum d’informations, notamment auprès des touristes, pour savoir s’ils ont réussi à se rendre dans l’Etat d’Arakan, où se trouve les Rohingyas, mais aucun d’entre eux n’avait pu s’y rendre. Vue que cet province est difficile d’accès, beaucoup de touristes ont abandonné. J’étais vraiment surprise, et beaucoup m’ont dit que je n’y arriverai pas. J’ai donc commencé étape par étape : de Yangon en train jusqu’à Pyay. Puis, j’ai pris un bus pour Taungok. Pendant tous mes trajets, il y avait des contrôles de l’immigration.

Je devais ensuite me rendre à Sittwe. Pour y aller, on emprunte uniquement la voie maritime. J’ai trouvé qu’en étant toute seule pour moi c’était plus simple car certains groupes ne sont pas arrivés au bout. J’arrive dans la ville de Sittwe, et tout de suite, la police et la douane nous contrôlent. J’ai eu le droit à de nombreuses questions : quelle est ma prochaine destination ? Les raisons ? Etc. J’ai donc dissimulé mon objectif principal. Je leur ai dit que j’étais une simple touriste.

Il faut cependant être patient pour arriver à destination, car aujourd’hui il n’y a qu’un seul train par jour, mais avant les affrontements il y en avait plusieurs. En réalité, tout est fait pour décourager les touristes à se rendre dans cette zone, pour des raisons de censure. Les autorités posent aussi énormément de questions. Mais finalement, et à ma grande surprise, j’ai pu arriver à destination.

Mon passeport a interpelé les autorités. Ils ont vu des visas de pays arabes. Ils ont pris le soin de relever toutes les coordonnées. On m’a tout de même laissé partir.

Les questions, on y a le droit tout au long du séjour dans cette région. Même le réceptionniste de l’hôtel m’a interrogé, étant la seule touriste venue visiter le coin. Les seuls occidentaux, sont principalement des humanitaires mais ils se font très discrets dans la ville.

Le réceptionniste m’avait parlé des Rohingyas, m’affirmant qu’ils se proclament Rohingyas pour prouver à la Birmanie qu’ils appartiennent à la Birmanie. Il m’affirme qu’ils sont tous partis au Bangladesh. Il éprouvait de la haine à leur égard, m’expliquant qu’ils ne sont pas bien, qu’ils se sont des personnes mauvaises. C’est grâce aux quelques ONG sur place, que j’ai pu avoir des informations. J’étais vraiment partie sans aucune piste, aucune information.

Quelles sont les conditions de vie des Rohingyas ? Quelles sont les évolutions ?

Les musulmans de Birmanie vivent dans des maisons mais ils sont parqués. Ils n’ont aucun droit de sortie. Si un musulman s’échappe, l’armée a le droit de le tuer. Ils vivent enfermés dans des ghettos, contrôlés par des checkpoints.

Une fois arrivée das un ghetto de la ville de Sittwe, nommé Aung Mingalar, un musulman m’a donné des informations, et m’a raconté ce qui se passe. La situation est alarmante. Il m’a recommandé de me rendre dans un camp de réfugié, où une personne m’attendra au checkpoint. Le taxieur qui m’a conduite, m’a dit qu’il s’agissait d’un endroit dangereux. J’ai insisté pour qu’il m’y emmène. Le village est aussi parqué, mais depuis bien longtemps, prouvant que la situation des musulmans de Birmanie ne date pas de 2012. Et à chaque endroit, il y a des checkpoints.

Les conditions de vie sont terribles : des tentes, et même des pseudo tentes (bois, plastiques pour faire un toit), des points d’eau potable qui se trouvent à des kilomètres, un cruel manque de nourriture, des enfants complètement nus en raison du manque de vêtements, des enfants qui prennent leur douche dans des flaques d’eau, aucun soin, etc. La manière dont ils sont enfermés et traités me faisait penser à un camp de concentration.

Dans une île dans le Nord de la province, on m’a expliqué que la situation était plus grave. L’aide alimentaire n’arrive même pas car l’Etat birman l’interdit. Les ONG ne peuvent y entrer.

Il faut aller à Nazhi quarter pour retrouver des maisons abandonnés, rasées, brûlées. Le checkpoint, est aussi encerclé sauf que juste devant, il y avait quelques maisons détruites. Je commençais à prendre des photos qui sont juste avant le checkpoint, mais un homme m’a crié dessus… jusqu’à ce qu’il me tape sur l’épaule. On m’a refusé l’entrée. J’ai dû m’en aller. Tout le monde autour de moi, me regardait d’un air méchant. Mal à l’aise, craintive, j’ai décidé de rentrer au plus vite.

Un témoignage ou une situation en particulier vous a marqué l’esprit ?

Au tout début de mon voyage, j’ai discuté avec un ancien soldat, manchot, et je lui posais la question sur l’origine de la perte de son bras. Il m’a répondu qu’il avait perdu son bras en posant une dynamite pour tuer des musulmans. A aucun moment il n’a parlé de « Rohingyas ». Puis, Il se mit à faire des gestes comme s’il utilisait une mitraillette. Il dit alors : « No Like Muslims ! No like muslims ! » J’ai senti une profonde haine et je me suis tout de suite sentie très mal, étant de confession musulmane. Puis j’ai gardé mon sang froid, je compris qu’il fallait absolument que je garde secret mes convictions religieuses, et que je ne prononce aucun mot arabe, ou religieux. Je suis restée très vigilante, pour ma sécurité.

Quelle est la réelle nature du conflit ?

Le problème n’est pas du tout ethnique, mais bien religieux.

Il suffit de voir la situation des Kaman, reconnus par la Birmanie. Mais parce qu’ils sont musulmans, ils sont eux aussi parqués dans des ghettos. C’est donc une véritable chasse aux musulmans. Tous les musulmans vivent dans ces conditions. Aucun musulman ne vit librement. A l’inverse, la porte est ouverte pour tous les bouddhistes, libres d’aller et venir. Il ne faut pas prononcer Rohingyas devant les birmans car pour eux, cela n’existe pas. La Birmanie semble aspirer à devenir un Etat bouddhiste.

En clair, l’ambiance est très tendue, et j’ai pu entendre des propos très racistes, extrémistes, une haine profonde envers les musulmans.Ce qui est très inquiétant est que les militaires soutiennent les bouddhistes. Les musulmans n’ont donc rien pour les protéger. En clair, du jour au lendemain tout peut arriver. L’armée et les civils se soutiennent mutuellement.

Comment peut-on aider les Rohingyas ? Que pouvons-nous faire à notre échelle ? De quoi ont-ils besoin ?

J’aimerais faire passer plusieurs messages.

Les Rohingyas attendent notre aide. L’aide est beaucoup plus juridique qu’humanitaire. Bien qu’ils aient besoin d’aides humanitaires, ils veulent que le monde entier sache ce qui se passe, que la Birmanie veut les faire disparaître petit à petit. Une très ancienne mosquée par exemple prouvait que les musulmans étaient là depuis longtemps, mais elle a été brûlée, par des bouddhistes, puis encerclée par l’armée. Personne ne peut rentrer. Ce qui est très choquant, ce sont les bouddhistes qui tiennent de propos aussi haineux. La philosophie bouddhiste interdit de tuer, violer, voler mais c’est tout autre dans la pratique. Ils sont nombreux à avoir voler les terres des musulmans. Une manière d’effacer leurs traces. L’Etat avait même proposé une nouvelle pièce d’identité aux Rohingyas avec marqué dessus « bengali », alors qu’ils ne sont pas du Bangladesh.

Je dénonce le silence médiatique, et l’inaction. Pourquoi aujourd’hui l’ONU ne fait aucune action ? Les ONG, par principe de neutralité, sont obligées d’aider les camps bouddhistes et les camps musulmans, c’est à dire que les dons, vont aux deux parties.

J’appelle la communauté et les pays musulmans à s’investir davantage.

L’Arabie Saoudite avait donné 50 millions de dollars aux Rohingyas, mais subsiste un mystère quant à la réception de cette somme. Hormis quelques tentes saoudiennes que j’ai vu sur place, aucune trace de cette somme d’argent. Aucune délégation ne s’est déplacée d’Arabie Saoudite.

Le Bangladesh refuse les Rohingyas, ils sont rejetés et maltraités par les autorités.

La Malaisie refuse également ces Rohingyas, ils sont maltraités, discriminés, torturés dans les prisons.

Je me demande enfin où sont les hommes ? Pourquoi ne sont-ils pas partis ? Que font-ils ? Les musulmans de cette partie du monde se sentent abandonnés par tous, mais ils prient pour que leurs frères musulmans viennent les soutenir et défendre leur cause.

Je souhaite que beaucoup d’associations, de particuliers se rendent là bas, et donnent la parole aux Rohingyas. Les médias ne disent rien, alors comment prouver, notamment en Occident, qu’un bouddhiste peut tuer, et avoir des propos haineux ? Plus il y aura des touristes qui se rendent en Birmanie, et plus on pourra faire pression. Si chacun dans son coin essaie d’apporter différents témoignages, on pourrait peut être changer les choses, avec l’aide de Dieu.

 

http://www.ajib.fr/

Rédigé par assalafia

Publié dans #les sectes et leurs mefaits

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